Michel Brochet, portrait d’agronome

Un Français engagé pour le développement agricole haïtien

Depuis les années 1950, les montagnes haïtiennes ont connu de nombreuses tentatives de reboisement et d’aménagement qui n’ont pas conduit aux résultats escomptés, le plus souvent faute de compréhension des logiques de fonctionnement des systèmes agricoles développés par la paysannerie très nombreuse qui y réside. À rebours de ce courant, un projet d’appui au développement de l’agriculture de montagne se distingue, mis en œuvre dans la presqu’île sud du pays à partir des années 1970.

Ce projet, appelé « Madian-Salagnac-Aquin », fait suite à une dizaine d’années d’interventions initiées par le Révérend Père Robert Ryo dans la paroisse de Laborde, près des Cayes. Ce projet de développement communautaire avait pour objectif de répondre à la globalité des besoins rencontrés par les agriculteurs : santé, éducation, développement agricole…

En 1974, Marie-Claude et Michel Brochet, un couple de coopérants français, partent en Haïti pour étoffer l’équipe. Michel Brochet, jeune agronome, est nommé assistant technique au volet agricole tandis que son épouse est enseignante bénévole auprès du projet. Avec de nombreux collaborateurs haïtiens et français, ses activités lui permettent d’acquérir une certaine connaissance de l’agriculture haïtienne.

Mais après deux ans d’activité et de formation d’animateurs ruraux polyvalents destinés à vulgariser les techniques agricoles auprès de leur communauté, l’expérience montre les limites de cette approche descendante, pourtant courante à l’époque. Les groupements de paysans ne jouent pas le rôle souhaité : les techniques vulgarisées au sein de ces groupements ne sont pas adoptées par les paysans et la plupart des jeunes animateurs formés rejoignent les villes ou partent valoriser à l’étranger leur formation dans d’autres secteurs que l’agriculture. L’équipe décide donc de faire évoluer l’approche et de s’installer à Salagnac en 1977 où un centre de formation est construit.

Un développement agricole basé sur le partage de connaissances et la co-construction des activités

Afin de faciliter les échanges entre l’ensemble des paysans et l’équipe du Centre, les coopérants revoient la démarche pédagogique du projet et créent les « stages personnages ». Ces stages ciblent des femmes et des hommes de 25 à 45 ans vivant de l’agriculture et reposent notamment sur la pédagogie du voyage d’études au sein de la zone et dans différentes régions du pays. Lors de ces visites, paysans et agronomes observent et échangent sur les conditions de production agricole et les stratégies paysannes mises en place. Il s’agit pour Michel Brochet de « faire parler les paysans de leur pratique et de comprendre les raisons pour lesquelles ils font ce qu’ils font ». Ce pari s’avère gagnant et ces stages connaissent un important succès.

Un dicton est régulièrement évoqué par les participants : « Grenn pwo-mennen wè plis pase bwa pi wo » (l’arbre le plus haut dit qu’il voit loin, mais la graine qui se promène dit qu’elle voit plus loin que lui). Cette devise met en lumière toute l’importance du voyage d’étude pour élargir ses connaissances, se confronter à d’autres référentiels techniques et culturels et mettre en perspective la rationalité de ses propres pratiques agricoles.

Au-delà de la formation de paysanne, le centre de Salagnac est également le lieu de l’articulation de la démarche avec la recherche universitaire et la formation d’étudiants agronomes, ce qui a largement contribué à la richesse de cette démarche. Depuis sa création et jusqu’au début des années 1990, le Centre de Salagnac a été un lieu reconnu d’échanges interprofessionnels et a « formé » par retour d’expérience des générations de jeunes paysans et d’agronomes de haut niveau.

Depuis deux ans, à la demande de toute une génération d’agronomes formés à Salagnac et avec le soutien de l’Agence Française de Développement, Un Enfant par la Main soutient le renouveau du Centre qui avait ralenti ses activités en raison de l’instabilité du pays.

Michel Brochet, un agronome de terrain

Aujourd’hui, la démarche amorcée par Michel Brochet et les agronomes du Centre de Salagnac inspire toujours les méthodes utilisées dans les projets agricoles d’Un Enfant par la Main.

Michel, épaulé de plusieurs agronomes français et haïtiens, a initié une démarche qui a joué un rôle central dans le développement de l’agriculture sur le plateau des Rochelois. Les activités et recherches conduites au centre de Salagnac ont contribué à une réflexion de portée plus globale, au-delà des frontières haïtiennes, sur la démarche de recherche-formation-développement. De plus, ce projet a contribué à former près de 200 agronomes qui se sont imprégnés de cette démarche et ont pu en tirer bénéfice jusqu’aux plus hautes fonctions de l’Etat. Enfin, très soucieux de voir perdurer ce soin de la compréhension des intérêts des paysans, Michel a formé par compagnonnage pendant une vingtaine d’années l’équipe terrain de SOS Enfants sans frontières (devenue « Un Enfant Par La Main »), qui a mené et continue de mettre en œuvre des projets dans plusieurs régions d’Haïti (Gros Morne, Chaîne des Matheux, Plateau Central, Port Salut, Salagnac). Cette mémoire continue ainsi à s’enrichir grâce aux nouvelles réalisations. Michel a également largement œuvré pour que les recherches se poursuivent sur le terrain : deux thèses de doctorat ont été conduites entre 2015 et 2019 sur le Plateau des Rochelois et dans la Chaîne des Matheux pour continuer de comprendre le plus finement possible les enjeux et leviers de développement de ces régions (Bouvard, 2019 ; Degroote, 2019).

Aujourd’hui, les projets agricoles mis en place par Un Enfant Par La Main s’efforcent de mettre en œuvre les démarches élaborées au Centre de Salagnac. Ils privilégient le partage de connaissances entre agriculteurs et agronomes. La revitalisation du centre historique de Salagnac se donne ainsi l’ambition d’encore mieux faire fructifier cet héritage.